Christine Cibert
Meeting the Dongmu
Galerie Anewal, KG+ Festival, Kyotographie Satellite Event
Kyoto, Japon
18 avril – 6 mai 2014
Commissaire d’exposition
Exposition conjointe avec Radium Girls de Claude Estèbe
Yangoon Photo Festival
Rangoon, Birmanie
7 – 26 mars 2011
MEETING THE DONGMU
En 1997, j’ai été pour la première fois en Corée, au sud de la DMZ, à Séoul. Péninsule coincée entre la Chine et le Japon – ces deux grandes puissances économiques, historiques et culturelles en Asie – la Corée demeure assez méconnue, malgré toutes ses richesses et ses particularités. C’est vrai pour la Corée du Sud mais encore plus pour la Corée du Nord. Plus de dix ans après, grâce au travail de mon mari pour les Nations Unies, nous avons choisi de partir vivre au nord de la DMZ, à Pyongyang, entre avril 2006 et décembre 2008.
Sur place, j’ai bien tenté quelques pistes professionnelles dans le domaine culturel mais ce fut finalement impossible pour moi d’y travailler. Par contre, j’ai tiré profit au maximum de mon séjour sur place, en me promenant, en découvrant, en explorant, en regardant, en visitant, en lisant, en écoutant, en goûtant, en rencontrant, en parlant, en vivant pleinement cette expérience unique que d’arriver à un peu mieux comprendre, de l’intérieur, ce pays « ermite ». Néanmoins, les Nord-Coréens ayant peur que l’on pose un regard critique et négatif sur leur pays que l’on pourrait ensuite emporter avec nous à l’extérieur, ce fut souvent une tâche délicate et périlleuse pour moi que d’arriver à faire de bons clichés. La photographie est en effet peu appréciée par les autochtones, surtout celle pratiquée par les étrangers, c’est-à-dire volontairement sortie des sentiers battus. Au-delà de nos différences culturelles, de la barrière linguistique et souvent à travers le prisme de la traduction – car la langue coréenne ne se maîtrise pas si rapidement – les vrais contacts humains, sans même parler d’amitié, sont rares et compliqués à établir, surtout de prime abord.
Ma meilleure carte de visite fut la naissance de mon fils Jun, à la Maternité centrale de Pyongyang, le 4 mars 2008. Cela permit de marquer une nette différence dans ma vie sur place, où j’ai d’abord été « l’épouse de mon mari », puis « la mère de Jun », faisant la Une de la télévision centrale nord-coréenne durant un mois, annoncée par la célèbre présentatrice locale comme le 340ème bébé étranger et le 1er Français né en République Populaire Démocratique de Corée.
En tant que femme étrangère vivant sur place, c’est avec les femmes Coréennes, mes consœurs locales, que j’ai tenté de nouer le plus de liens. Toutes autant que j’ai pu en rencontrer, leur parler, échanger et partager avec elles, que ce fut : ma professeure de Coréen, les collègues de travail de mon mari, les femmes qui venaient faire le ménage chez nous, une couturière, les infirmières et les sages-femmes de la maternité, la baby-sitter de Jun, des vendeuses dans les magasins, des serveuses dans les restaurants ou au marché, des chanteuses de karaoke, des passantes dans les rues, des femmes au sauna, des guides dans les musées et les galeries d’art, des artistes, des danseuses un soir de bal, les « fliquettes » aux carrefours de la capitale, les hôtesses de l’air de la compagnie Air Koryo, des coiffeuses, des masseuses, des esthéticiennes, des jeunes mamans, des jeunes filles Gardes Rouges, des petites filles lors de spectacles de visites officielles et j’en ai oublie probablement encore…
Ce sont toutes elles qui s’appellent entre elles et que l’on ose appeler aussi, non sans une touche d’humour en tant qu’étranger, dongmu, qui signifie « camarade » dans la langue choson-mal, la langue de Corée du Nord. Mais dans le pays le plus confucéen de l’Asie et donc le plus fortement ancré dans ses traditions ancestrales, toutes ces femmes nord-coréennes sont avant tout des épouses et des mères n’ayant quasiment pas de liberté. Toujours bien apprêtés dans leurs superbes hangbok (robe traditionnelle) aux couleurs vives, variées et soutenues, tirées à quatre épingles dans leur tailleur occidental ou dans leur uniforme de travail, discrètement et joliment maquillées, elles sont courtoises et souriantes. Mais derrière le masque optimiste de rigueur typiquement asiatique et d’autant plus imposé par le régime nord-coréen où l’on ne doit pas donner une image négative de son pays à l’étranger, quand les barrières arrivent à tomber, même juste un peu, on les découvre plus encore chaleureuses, démonstratives voire même fraternelles. Si ces femmes ne se dévoilent pas si facilement, c’est par gêne, par timidité vis-à-vis de l’étranger ou par peur de la délation. Et si par chance, elles nous laissent entrevoir une brèche, on devine alors une tristesse, une solitude et une désolation dues à leur vie rude et à leur statut social contraint par des règles extrêmement rigides.
Ce sont tous ces moments d’échanges humains si précieux offerts souvent à la sauvette, en cachette ou dans l’intimité qui ont été l’une des plus grandes intensités de ma vie et de mon expérience sur place, durant un an et demi entre 2006 et 2008. Ayant choisi d’appréhender cette presqu’île, la Corée, dans son entièreté, le pays des matins calmes, au Nord comme au Sud, est une contrée qui m’a toujours profondément touchée.
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